Vier Gesänge (Quatre chants) pour voix de femmes, deux cors et harpe

Brahms

1833 – 1897

Échelonnée au long de sa vie, la musique chorale occupe chez Johannes Brahms une place considérable, et il dirigera quelques années des chœurs d’amateurs à Detmold, puis à Hambourg. Ses œuvres chorales pour voix de femmes, voix d’hommes ou mixtes, avec ou sans accompagnement, démontrent dès le départ son attachement à « l’univers musical de la fin du Moyen Âge, de la Renaissance et du premier Baroque » (Jean-Alexandre Ménétrier). Mais en développant « un lyrisme profondément romantique », Brahms se coulera bientôt dans le sillage de Mendelssohn.

Destinés au Frauenchor de l’église Saint-Pierre de Hambourg, qu’il avait lui-même fondé, il termine en 1860 ses Vier Gesänge (Quatre chants) pour trois voix de femmes, avec le rare accompagnement de deux cors et d’une harpe. Sur des poèmes associant l’amour et la mort signés Friedrich Ruperti, Shakespeare, von Eichendorf et Ossian, Brahms déploie, dans une texture homophone, une expressivité poignante et éminemment personnelle – « On remarque combien, dès sa jeunesse, Brahms écrit bien pour le cor et quels effets poétiques il en tire » (Claude Rostand).

Le Es tönt ein voller Harfenklang (Le riche son de la harpe résonne), qui demande un seul cor, est une sorte de nocturne où les « soupirs d’amour » sont accompagnés par les arpèges mélancoliques de la harpe, avec de fréquents retards avant les retours de la tonique. Le Lied von Shakespeare (Chanson de Shakespeare), chanté par le fou de la comtesse Olivia dans La Nuit des rois, se déroule comme une marche funèbre où le choc des tonalités et l’accentuation boiteuse créent un climat shakespearien. Der Gärtner (Le jardinier), avec les harmonies raffinées de la harpe, conte les tourments d’un simple jardinier amoureux d’une noble dame; tout en faisant bonne figure, il sait qu’il en mourra. Enfin, le Gesang aus Fingal (Chant de Fingal), le plus long et le seul à ne pas épouser la forme strophique, raconte, ancienne légende nordique, le désespoir de la jeune fille d’Inistore au moment où meurt en combat singulier son bien-aimé Ténar. Son atmosphère angoissée et son sentiment d’oppression « singulièrement juste » (José Bruyr) s’accompagnent d’images musicales suggestives – les hurlements des chiens de Ténar – et de chromatismes, le récit se déroulant presque recto tono, implacablement.

© François Filiatrault 2023