Messe n° 2 en mi mineur

Bruckner

1824 – 1896

« Le grand musicien d’église de l’époque romantique est Anton Bruckner » (Alfred Einstein). D’abord organiste à l’abbaye de Saint-Florian, puis à la cathédrale de Linz, il s’établit à Vienne, où il enseigne la théorie et l’orgue au Conservatoire, tout en occupant le poste d’organiste de la Cour impériale. Fervent catholique, il laisse une importante œuvre religieuse, tant de grandes messes avec orchestre que nombre de motets a cappella. À ce chapitre, Bruckner se rapproche du cécilianisme, un mouvement qui, voulant écarter les aspects théâtraux qui avaient tant marqué la musique d’église depuis deux siècles, préconise un retour à la musique de la Renaissance, vue de façon plus ou moins idéalisée, « sans plus rien de terrestre, dépouillée de toute passion, séraphique », avec pour modèle celle de Palestrina. Mais on trouvera chez lui des « effets harmoniques hauts en couleur, typiquement romantiques » et un usage très personnel du contrepoint.

Prévue pour la consécration de la chapelle votive de la nouvelle cathédrale de Linz, Bruckner termine sa Messe nº 2 en mi mineur en novembre 1866 et il la dédie à l’évêque Franz Josef Rudigier, un de ses admirateurs – il la révisera à quelques reprises et elle sera redonnée en 1885 pour marquer le centenaire du diocèse de Linz. Distribution tout à fait atypique, ses huit voix chorales sont accompagnées par treize vents, qui rappellent les formations du premier Baroque : deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, quatre cors, deux trompettes et trois trombones, sans solistes vocaux ni orgue.

Bruckner s’y révèle un maître du contrepoint et des effets dramatiques dans une grande économie de moyens. On notera les frottements tendus du Kyrie, amorcé par les voix hautes; les entrées fuguées du Christe; les puissantes déclamations des Gloria et Credo, en do majeur; la double fugue de l’« Amen » du Gloria, chromatique et incisive; la suggestion musicale sur les paroles « et homo factus est », lorsque reprises par la voix la plus basse pour montrer l’humilité de notre condition; le début du Sanctus où, sur un thème emprunté à Palestrina, « un canon à deux voix est enveloppé dans un contrepoint à huit parties au fil de la construction d’un grand crescendo » (Robert Simpson); et, enfin, le recueillement confiant du « Dona nobis pacem » final. Sans compter, exigée par maints passages, le recours à « une vocalité tendue, aux limites des possibilités d’un ensemble choral » (François-René Tranchefort).

Tout en caressant le même idéal, Bruckner transcende hardiment dans ce chef-d’œuvre la « pureté » du mouvement cécilien. « Abrupte, dépouillée, d’une grandeur concise, cette Messe, dans son extraordinaire isolement, relègue les œuvres liturgiques de son époque – Brahms excepté – au second rayon. »

© François Filiatrault 2023