Les artistes du XXe siècle n’ont cessé de chercher à renouveler leur langage. On évoque souvent les différentes phases créatrices de tel ou tel compositeur, leurs « périodes ». Prokofiev n’échappe pas à la règle et on peut observer chez lui plusieurs partis pris esthétiques assez contrastants, tout au long de sa carrière.
Ses sept symphonies constituent à cet égard un bon résumé de son parcours créateur. La toute première, la « Classique », a été écrite dans l’esprit de Haydn. Mais, dès la deuxième, « De fer et d’acier », le langage se veut résolument moderne. Pourtant, au bout de quelques décennies, le musicien fait marche arrière. « Bien sûr, j’ai employé des dissonances, autrefois, mais il y en avait trop. La dissonance constituait pour Bach le sel de la musique. D’autres ont ajouté du poivre et de plus en plus d’épices dans leurs plats jusqu’à ce que les estomacs les plus résistants en deviennent malades », confesse-t-il.
Sa cinquième symphonie appartient à ce retour vers un langage nettement moins « pimenté ». Écrite en 1944, alors que la défaite allemande face à l’écrasante armée russe semblait imminente, elle est empreinte d’une certaine sérénité. Ce sentiment s’avère justifié puisque l’armée nazie capitule quelques mois après sa création sous la direction du compositeur à Moscou, le 13 janvier 1945.
« Elle couronne, en quelque sorte, toute une grande période de mon travail, je l’ai pensée comme une œuvre glorifiant l’âme humaine… Dans la cinquième symphonie, j’ai voulu chanter l’homme libre et heureux, sa force, sa générosité et la pureté de son âme. Je ne peux dire que j’ai choisi ce thème : il est né en moi et devait s’exprimer. »
–Sergueï Prokofiev
Cette impressionnante Symphonie no 5 comporte, en plus des effectifs du grand orchestre, une partie de piano et une importante section de percussions. Quatre thèmes entendus de façon rapprochée forment la trame du premier mouvement. Le développement de ces thèmes nous fait passer de la légèreté la plus diaphane à une violence sonore parfois inouïe. Une longue et brillante conclusion, avec trémolos au piano, met un terme à ce mouvement opulent tant par son contenu que par sa généreuse orchestration.
Suit un Scherzo animé, plein d’humour et de sarcasme. L’industrieuse agitation des premières minutes cède à une section plus lyrique, tout en conservant une touche d’ironie. La pièce se laisse emporter dans un tourbillon dominé par des cuivres échevelés et les dernières mesures viennent se fracasser brutalement sur le dernier accord.
L’Adagio énonce une longue mélodie mélancolique avant que l’orchestre ne hurle brièvement, pour ensuite retomber dans la nostalgie. En guise de finale, Prokofiev nous offre un rafraîchissant Allegro giocoso (joyeux) qui débute timidement, puis s’éveille et s’élance avec vivacité et fougue. Tout ce mouvement a des allures de fête, tantôt joyeuse, tantôt grinçante, où chaque instrument semble vouloir entrer dans la danse. La farandole entraîne la masse orchestrale tout entière vers un feu d’artifice éblouissant.