« Je ne suis pas satisfait des ouvrages que j’ai écrit jusqu’à présent; je veux désormais suivre une voie nouvelle. » C’est ce que Beethoven écrit en 1802 à un ami. Et c’est exactement ce qu’il fait avec sa Symphonie no 3 composée entre 1803 et 1804.
À l’été 1801, sur les conseils de son nouveau médecin, Beethoven s’était rendu dans la petite ville d’Heiligenstadt afin de s’éloigner de la vie trépidante de Vienne. Le Dr Schmidt lui avait prescrit une cure de silence et de solitude dans l’espoir qu’elle soulage ses problèmes auditifs. Ce séjour à Heiligenstadt sera plutôt le théâtre d’une profonde crise existentielle (voir l’encadré) d’où émergera la Symphonie no 3.
La Troisième marque un tournant non seulement dans l’œuvre de Beethoven, mais dans l’histoire de la musique. Tandis que les symphonies nos 1 et 2 poursuivent l’esthétique de Haydn et de Mozart, l’« Héroïque » fait éclater le moule de la symphonie classique par sa structure immense, sa durée et son style dramatique.
Comme plusieurs de ses contemporains empreints d’idéalisme, Beethoven voit en Napoléon Bonaparte le héros contemporain de l’Europe, celui qui incarne les valeurs républicaines de la Révolution française. Au-delà de ses succès politiques et militaires, Bonaparte symbolise le triomphe de l’accomplissement individuel, l’homme ordinaire qui dépasse les autres grâce à son intelligence et à sa détermination. Beethoven ne peut faire autrement que de s’identifier à la figure de Bonaparte. Il décide ainsi de donner le titre de « Bonaparte » à sa Troisième symphonie en 1803.
Lorsqu’il apprend en 1804 que Napoléon s’est déclaré empereur, le compositeur entre dans une colère devenue légendaire : « Ce n’est donc rien de plus qu’un homme ordinaire! Maintenant il va fouler aux pieds tous les droits humains, il n’obéira plus qu’à son ambition; il voudra s’élever au-dessus de tous les autres, il deviendra un tyran! ». Furieux de rage, Beethoven rature la dédicace avec tant de hargne qu’il troue la page titre. La symphonie portera désormais le titre « Symphonie héroïque, composée pour célébrer le souvenir d’un grand homme. »
La Symphonie « Héroïque » sera finalement dédicacée au prince Lobkowitz, mécène de Beethoven bénéficiant d’un orchestre privé qu’il mettait à la disposition du compositeur pour l’exécution de ses œuvres symphoniques. La composition de l’orchestre est identique à celle des symphonies précédentes, à l’exception des cors : Beethoven les fait passer de deux à trois et leur confie un rôle-clé.
De forme sonate*, l’Allegro con brio est remarquablement long. Beethoven innove en introduisant un 3e thème mélancolique chanté par le hautbois au sein du développement. La coda est également d’une durée étonnante, avec une fanfare finale qu’on peut associer au triomphe du héros.
La célèbre Marcia funebre est le plus long mouvement de la symphonie, et aussi le plus long de toutes les symphonies de Beethoven. À l’origine, ce deuxième mouvement devait être une marche triomphale en référence au héros glorieux. Tout comme la dédicace à Bonaparte, elle a été biffée et remplacée par une marche funèbre symbolisant la mort du héros. Hans von Bulow, chef de l’Orchestre philharmonique de Berlin à la fin du XIXe siècle, enfilait des gants blancs pour diriger la Troisième symphonie mais, arrivé au 2e mouvement, il les troquait pour des gants noirs.
Contraste complet d’avec la marche funèbre, le pimpant Scherzo donne l’impression d’une course sans fin. Le trio central de ce mouvement est écrit pour les trois cors. L’Allegro molto final est constitué d’une série de variations sur deux thèmes complémentaires : un premier joué staccato aux basses et un second, le « thème de Prométhée », utilisé précédemment par Beethoven dans sa musique de ballet. L’œuvre prend fin de manière étourdissante avec une coda presto où l’orchestre scande des accords de mi bémol majeur pas moins de 15 fois.