Dès sa création en 1742, le Messie soulève les passions. D’un côté, les premières représentations à Dublin, en Irlande, attirent une si grande foule qu’on demande aux dames d’éviter de porter des robes à paniers – aussi « tendance » qu’encombrantes – et aux messieurs de laisser leur épée à la maison, afin de permettre à un maximum de gens d’assister aux concerts. De l’autre, l’accueil qu’on lui réserve à Londres est mitigé, certains critiques dévots trouvant inapproprié que les paroles des saintes écritures soient déclamées par des chanteurs, qui plus est dans des lieux profanes.
Au fil du temps, c’est l’enthousiasme du public qui l’emporta. L’oratorio a été repris à 36 reprises du vivant de Handel, qui chaque fois a réécrit et réarrangé sa partition pour accommoder les effectifs des orchestres qui l’interprétaient. Cette flexibilité a donné lieu à une très grande variété d’orchestrations et a atteint des proportions gargantuesques après la mort du compositeur. En 1784, pour une commémoration du 25e anniversaire du décès de Handel, une représentation à l’Abbaye de Westminster rassemble 275 musiciens et 300 choristes!
Au cours du 19e siècle, le Messie demeure toujours aussi populaire et le romantisme entraîne une augmentation considérable des effectifs des orchestres, accentuant la tendance à grossir sans cesse l’orchestration de cet oratorio. Lors des festivals Handel au Crystal Palace de Londres, on pouvait entendre jusqu’à 4000 chanteurs dans les chœurs, accompagnés par 500 musiciens. Même si Handel n’a jamais été chiche avec les effets musicaux grandioses, on peut croire qu’il aurait trouvé de si grands ensembles exagérés pour son Messie.
Au tournant du 20e siècle, des appels à un retour aux orchestrations d’origine commencent à se faire entendre et, quelques décennies plus tard, les représentations du Messie plus près de la musique de chambre deviennent monnaie courante. L’intérêt grandissant pour le style baroque, les instruments d’origine et l’appétit des mélomanes pour les reconstitutions historiquement plus fidèles a grandement contribué à ce retour du balancier.
On peut toutefois se demander si, sans les contraintes liées à l’argent et les difficultés à rassembler un aussi grand nombre de musiciens, Handel n’aurait pas choisi lui-même des orchestrations un peu plus grandioses. Après tout, certains numéros de chœurs comme l’Alleluia et Worthy is the Lamb sont si monumentaux, majestueux, qu’on les croirait écrits pour une centaine de chanteurs au moins.
De nos jours, les versions pour petits ensembles et celles pour plus grands orchestre cohabitent et sont tout aussi souvent programmées, même si on évite généralement les orchestrations mégalomaniaques du 19e siècle. Ainsi, chacun peut trouver son compte dans cette partition dont le succès n’a jamais faibli depuis sa création.