Sept Lieder (orchestration Matthews)

Alma Mahler

1879 – 1964

Alma Schindler naît à Vienne en 1879 dans une famille où, avec un père peintre et une mère cantatrice, les arts occupent une place de choix. Elle amorce l’apprentissage du piano dès son jeune âge, et son père, qu’elle perdra à treize ans, l’encourage à « jouer pour séduire les dieux » – ce dont elle ne se privera pas. Puis, à dix-huit ans, elle étudie la composition avec Alexander von Zemlinsky, musicien d’avant-garde et remarquable pédagogue, qui deviendra son premier amant. Très tôt, Alma Schindler accumule les liaisons et mène une vie mondaine trépidante, fréquentant tout ce que la capitale impériale compte à l’époque de poètes, écrivains et artistes de premier plan dans tous les domaines. Et elle commence à composer.  

Lors d’une soirée, en 1901, elle fait la rencontre de Gustav Mahler, alors directeur de l’Opéra de Vienne et de dix-neuf ans son aîné. Ils se marieront un an plus tard, non sans que Mahler l’ait sévèrement avertie par lettre qu’il ne saurait y avoir deux compositeurs sous le même toit et qu’une épouse se doit tout entière à son mari! Il écrit : « Imagines-tu à quel point deviendrait ridicule et, à la longue, humiliant pour nous-mêmes un rapport de rivalité aussi singulier ? […] Tu n’as dorénavant qu’une seule vocation : me rendre heureux! » Elle renonce alors à ses aspirations artistiques, range ses compositions et donne naissance à deux filles. La vie du couple connaît des hauts et des bas; à l’été 1910, Alma fait la connaissance de l’architecte Walter Gropius, futur fondateur du Bauhaus, et devient sa maîtresse. Tentant de la reconquérir, Mahler fait éditer cinq des lieder d’Alma, avant de mourir un an plus tard, à 51 ans. Mais l’élan créateur est brisé et elle ne retournera pas à la composition; seront publiés toutefois quatre autres lieder en 1915, année où elle épouse Gropius, et cinq autres en 1924.

Dans les années qui vont suivre, Alma Mahler se remarie, en 1929 et après dix ans de vie commune, avec le romancier Franz Werfel. Fuyant le nazisme en 1938, tous deux gagnent la France puis s’établissent à Los Angeles. Au décès de Werfel, elle déménage à New York, où elle s’éteint en 1964, non sans avoir partout participé activement à la vie culturelle des lieux.

Outre de rares musiques de chambre et une scène d’opéra aujourd’hui perdues, Alma Mahler laisse, tous composés dans sa jeune vingtaine, au début des années 1900, dix-sept lieder, dont quatorze publiés de son vivant. Elle y fait preuve d’un talent mélodique certain, avec des relents brahmsiens, qui s’accommode d’un langage harmonique hérité de Zemlinsky et flirtant avec ceux, tout nouveaux, d’Alban Berg et d’Arnold Schoenberg. Empruntant notamment à Richard Dehmel, Rainer Maria Rilke et Gustav Falke des poèmes écrits dans une veine mélancolique ou évoquant une nature idéalisée et complice, son imagerie musicale est délicate, jamais trop appuyée, y compris dans l’accompagnement, où surprennent des tournures audacieuses. De l’avis de la mezzo-soprano Sarah Connolly, « [s]a musique est tour à tour voluptueuse, aguichante, avec une intensité toute wagnérienne, mais également intimiste, hédoniste, charmeuse et captivante » – aspects assurément magnifiés dans les versions orchestrées.

© François Filiatrault