Concerto pour violon
Khatchatourian
1903 – 1978
Travailler la musique sous le régime soviétique était une entreprise dangereuse dont beaucoup de compositeurs, comme Chostakovitch, ont souffert. Dans ce monde médiatique et culturel extrêmement contrôlé, les compositeurs devaient marcher sur des œufs pour assurer la sécurité de leurs proches, parfois au péril de leur créativité musicale.
Khatchaturian a toutefois réussi à intégrer dans son écriture musicale les mélodies de son pays d’origine, l’Arménie. Partagée depuis des siècles entre domination russe et ottomane, cette région du Caucase est devenue une république soviétique en 1920. Le compositeur y baigne jusqu’à l’âge de 18 ans dans les mélodies exubérantes des musiques arménienne, géorgienne et azerbaïdjanaise dont il reproduira plus tard les couleurs. En 1922, il quitte son Arménie natale pour approfondir son étude du piano à Moscou, où il suit également des cours de composition.
Dans les années 1930, sa carrière prend son envol. Prokofiev, déjà reconnu mondialement, le couvre d’éloges pour son Trio pour clarinette, violon et piano, son Concerto pour piano est dédié au célèbre pianiste Lev Oborine… Mais c’est son Concerto pour violon, dédié au violoniste David Oïstrakh, qui consolide sa notoriété internationale en 1940 et le fait remarquer par les dirigeants de l’URSS, qui lui octroient le Prix Staline.
« Il y a trop de laideur et de désespérance dans le monde pour que nous les laissions envahir notre art ».
– Aram Khatchatourian
Grâce à son tempérament généreux et à ses talents d’orchestration et de direction, Khatchatourian est parvenu à s’imposer comme l’un des compositeurs officiels de l’Union soviétique, position privilégiée pour un compositeur sous le régime soviétique. Malgré la pression politique inhérente à ce genre de rôle, il a toujours su valoriser la culture de son peuple dans sa musique. Lui-même disait de sa musique qu’elle était « belle en soi, ni grande, ni petite, mais simplement belle, ouverte, épanouie, heureuse de vivre. »
Le Concerto pour violon est en effet extrêmement énergique : la virtuosité débridée du violon, les mélodies modales jouées en fortissimo par l’orchestre et les rythmes dansants appuyés sur les contretemps captent à tout coup l’attention de l’auditoire. Le premier mouvement tire son inspiration d’une pièce intitulée « Tea for Two » (1924) écrite par le compositeur de Broadway Vincent Youmans. La chanson, reprise par Doris Day dans le film du même titre en 1950 était bien connue en URSS, ayant été traduite et intégrée dans une opérette de Boris Fomin en 1926. Le deuxième mouvement, lui, s’inspire du Concierto de Aranjuez (1939) de Joaquin Rodrigo. Sur un rythme de valse mélancolique, le violon est mis à l’honneur par une grande expressivité et un sentimentalisme renversant. Le mouvement se termine par un motif de gamme ascendante joué par tout l’orchestre, puis transitionne vers la danse déchaînée que représente le troisième mouvement.