Si Beethoven compose l’essentiel de sa Symphonie no 9 entre 1823-1824, elle est en réalité le résultat d’une longue maturation qui s’étend sur plus de trente ans. Dès 1793, il exprime la volonté de mettre en musique l’Ode à la joie du poète Friedrich Schiller. Toutes les idées notées, repensées et développées au fil du temps s’assemblent progressivement dans son esprit, comme les morceaux d’un casse-tête.
Les années qui précèdent la composition de la Neuvième sont particulièrement pénibles pour Beethoven, notamment à cause de sa surdité devenue totale. Ce sont aussi les années sombres de la bataille juridique pour la garde de son neveu, Karl (voir l’encadré Beethoven et la famille). Mais Beethoven rebondit et arrive à transformer l’énergie négative de cette triste période de sa vie en une immense force créative. À compter de 1820 et jusqu’à sa mort en 1827, il compose peu d’œuvres, mais toutes sont de véritables chefs-d’œuvres.
L’accueil du public viennois pour les précédentes symphonies de Beethoven ayant été plutôt tiède, il prévoit faire jouer la Neuvième symphonie à Berlin plutôt qu’à Vienne. Lorsque ses admirateurs ont vent de cette rumeur, c’est la panique! Ils se mobilisent et font paraître une lettre dans les journaux, suppliant le compositeur de réserver la première pour la capitale autrichienne. Touché par cette manifestation d’affection, Beethoven change ses plans.
Les attentes sont donc très élevées en ce 7 mai 1824 où le public compte plus de 2400 personnes. Beethoven ne déçoit pas : le concert est un triomphe. Bien qu’il soit présent sur scène tout au long du concert, sa surdité l’empêche de diriger l’orchestre lui-même. Lorsque la Neuvième prend fin, l’une des solistes le retourne face au public afin qu’il puisse constater de ses yeux ce que ses oreilles l’empêchent d’entendre : la foule en liesse qui l’ovationne.
Avec le temps, la Symphonie no 9 est devenu un manifeste de fraternité et d’amour universel. Reprise autant dans le cinéma que dans le domaine politique, elle s’est taillé une place de choix dans l’imaginaire collectif. En 1985, l’Hymne à la Joie devient l’hymne officiel de l’Union européenne. En 1989, aux lendemains de la chute du mur de Berlin, Leonard Bernstein la dirige dans la capitale allemande. En 2001, l’UNESCO inscrit son manuscrit sur le Registre international « Mémoire du Monde », une première pour une partition musicale.
La Neuvième symphonie est exceptionnelle à bien des niveaux : d’abord par sa durée, qui dépasse les 60 minutes, mais aussi et surtout par l’introduction des voix dans le dernier mouvement, du jamais vu. Alors que l’orchestre de la Symphonie no 1 garde les proportions de ceux de Haydn ou de Mozart, la Symphonie no 9 requiert un effectif beaucoup plus imposant. On y retrouve quatre cors, trois trombones, un contrebasson, une flûte piccolo ainsi que de nouveaux instruments comme la grosse caisse, les cymbales et le triangle, sans parler du chœur à quatre voix et des quatre solistes présents dans le finale.
Les neuf symphonies de Beethoven, la Neuvième en particulier, exercent une influence profonde et indélébile sur l’histoire de la musique classique. Elles constituent la référence obligée en matière de composition symphonique, l’étendard auquel tout compositeur subséquent doit se mesurer. L’opus symphonique de Beethovena créé une sorte de frontière mystique qui intimidera la postérité.
L’Allegro ma non troppo est de forme sonate*, mais Beethoven y apporte quelques touches d’originalité. L’étonnante introduction fait entendre, pendant 16 mesures, les notes la et mi. L’atmosphère étrange laisse à penser que l’orchestre s’affaire à s’accorder. Puis, petit à petit, la musique émerge du néant pour aboutir à l’explosion du premier thème. Cette introduction singulière réapparaît à plusieurs reprises au cours du mouvement.
En guise de deuxième mouvement, Beethoven place un scherzo* marqué Molto vivace. Il fait un usage encore plus dramatique des timbales, qui se font entendre à découvert dès les premières mesures. Après ces deux premiers mouvements, le lyrisme et la tendresse de l’Adagio molto e cantabile, sous une forme de thème et variations*, sont plus que bienvenus. Les trompettes, jusque-là silencieuses, interviennent alors dans une puissante fanfare.
Alors que la tendance au 18e siècle était de concentrer l’essentiel du discours musical dans le premier mouvement, Beethoven déplace le centre d’intérêt de la 9e vers le dernier mouvement, comme il l’a déjà fait dans ses Symphonies nos 3 et 5. Avec la présence des voix et sa durée d’une trentaine de minutes, le Finale – Presto est presque une symphonie en soi.
La division en quatre sections permet de mieux suivre l’évolution de ce mouvement colossal. En guise d’introduction orchestrale, un intense presto initial déferle sur tout l’orchestre. Le célèbre thème « Hymne à la joie » fait d’abord son apparition aux violoncelles et aux contrebasses, dans la nuance piano. L’orchestre s’enrichit progressivement jusqu’à ce que le thème soit joué forte par l’orchestre au complet.
Le baryton solo entame ensuite une section de variations chantées sur le thème « Hymne à la joie » avec un récitatif composé sur un texte de Beethoven lui-même. « Mes amis, laissons ces plaintes! Entonnons un chant plus agréable et plus joyeux! ». Le baryton poursuit avec le thème « Hymne à la joie », composé sur le texte de Friedrich Schiller. Après trois variations par les solistes et le chœur arrive la « marche turque » où interviennent le triangle, les cymbales et la grosse caisse. Un interlude musical fugato (petite fugue) précède le retour du chœur qui reprend encore deux variations sur le thème « Hymne à la joie ».
Un deuxième thème, souvent appelé le thème de la « Fraternité », apparaît dans une section lente. Il est d’abord entonné par les voix d’hommes accompagnées des trois trombones, qui confèrent à la musique un caractère presque religieux. L’Allegro energico plus allant qui suit superpose les thèmes « Hymne à la joie » et « Fraternité » dans un grand fugato pour chœur. Exceptionnellement longue, la dernière section fait entendre les deux thèmes sous des formes variées avant l’arrivée d’un prestissimo déchaîné et éclatant qui laisse exploser toute la joie exprimée par le poème de Schiller.