Concerto pour orchestre

Bartók

1881 – 1945

Après avoir reçu ses premières leçons de piano de sa mère, Béla Bartók étudie à Pozsonyi (aujourd’hui Bratislava), avant de s’inscrire au Conservatoire de Budapest, où il se familiarise avec la composition. Ses premières admirations vont à Richard Strauss, à Debussy, puis à Stravinski et à Schoenberg, mais, constate Roland de Candé, bien qu’il les connaisse parfaitement, « son originalité est trop profonde pour qu’il puisse s’intégrer aux mouvements musicaux contemporains ». Bartók apprécie également Liszt et Brahms pour leur style tziganohongrois. À cet égard, fasciné par le folklore, il recueillera au cours de sa vie des milliers d’airs et chansons populaires d’Europe de l’Est, dont les particularités ne manqueront pas d’imprégner son style.

Professeur au Conservatoire de Budapest à partir de 1907, il fait néanmoins de nombreuses tournées en Europe et aux États-Unis. En 1940, fuyant le nazisme, il s’installe dans l’État de New York, où ses oeuvres ne trouvent pas le succès espéré. Il connaît alors la misère, malgré le soutien que lui apportent ses confrères, et il sera terrassé par la leucémie cinq ans plus tard. Son oeuvre touche tous les genres. Pour de Candé, « tout est exceptionnel dans cette musique taillée dans le cristal : la transparence et l’ambigüité tonale de l’harmonie, la profonde originalité de l’instrumentation, l’audace et l’indépendance d’esprit du créateur ».

 

Bartók compose son Concerto pour orchestre en 1943 à la demande du chef Serge Koussevitzky, qui, enthousiaste, déclarera qu’il s’agit de « la meilleure oeuvre des vingt-cinq dernières années »! Comme le titre l’indique, le maître jette un regard vers le passé : à l’instar des concertos con molti stromenti en vogue à l’époque de Bach, des instruments spécifiques, les vents au premier chef, concertent tour à tour brièvement avec l’orchestre. Les cinq mouvements de l’oeuvre sont structurés comme une arche : au premier correspond le cinquième, au deuxième, le quatrième, avec comme clé de voûte l’Elegia centrale. Leur déroulement effectue « une transition graduelle de l’austérité du premier mouvement vers l’affirmation vitale du dernier », selon les mots mêmes de Bartók.

L’Introduzione progresse par des sauts de quarte à partir des basses, créant un climat de mystère, de danger imminent. Puis de sévères motifs fugués aux cordes, procédé qui reviendra dans le dernier mouvement, tentent de conjurer le pressentiment. Dans le Giuoco delle coppie (Jeu des couples), un badinage très rythmé, les vents se présentent en paires, se lançant dans « des airs de danse d’un charme subtil », estime Tranchefort, interrompus par une sorte de lent choral aux cuivres. Changement radical, l’Elegia, sans doute le mouvement le plus bartokien de l’oeuvre, est un chant de mort désespéré. L’Intermezzo s’ouvre sur un chant à saveur folklorique, avant d’être interrompu par la clarinette qui moque un thème de la septième symphonie de Chostakovitch, mêlé aux accents d’un air de La Veuve joyeuse de Lehar, avec glissandos narquois des trombones et rire des cordes! Quant au Finale, c’est un mouvement perpétuel qui, note Ernest Ansermet, « court à la coda, une coda vertigineuse : comme un grand coup de vent, des vagues de cordes aux couleurs phosphorescentes semblent emporter des bribes de la fugue jusqu’à ce que le thème de celle-ci éclate dans toute sa grandeur aux cuivres ».

© François Filiatrault