Symphonie nᵒ 5 en ré mineur

Chostakovitch

1906 – 1975

« Dans ma Cinquième Symphonie, je me suis efforcé à ce que l’auditeur soviétique ressente dans ma musique un effort en direction de l’intelligibilité et de la simplicité. » – Dimitri Chostakovitch

Des circonstances hautement politiques ont entouré sinon présidé en 1937 à la composition par Dimitri Chostakovitch de sa Cinquième Symphonie. Trois ans auparavant, il avait fait représenter un opéra audacieux et caustique, tant par son sujet que par son traitement musical, Lady Macbeth du district de Mtsensk, qui remportait depuis un grand succès sur tout le territoire. Mais les autorités du Parti communiste, au nom des « canons indéfinissables du “réalisme socialiste” » (Romain Goldron), le qualifièrent bientôt, dans la Pravda, de « vulgaire, névrotique et trop recherché, [y voyant] un désordre plutôt qu’une musique ». En cette époque des grandes purges staliniennes, Chostakovitch décide alors de composer, pour le 20e anniversaire de la Révolution de 1917, sa Cinquième Symphonie, comme, dira-t-il, « la réponse d’un musicien soviétique à de justes critiques ».

Prolongeant la lignée postromantique de Mahler, de Bruckner et des grands Russes, cette Symphonie en ré mineur, d’un climat sombre et tragique, cultive la grandeur avec une économie toute classique et une admirable orchestration. « Son langage, en dépit des concessions obligées, est d’une indéniable authenticité. » La question demeure cependant si Chostakovitch désirait vraiment s’amender ou simplement déjouer l’oukase dans une sorte de « repli créatif » apparent. Le fait est qu’il sera nommé la même année 1937 professeur au Conservatoire de Léningrad et, six ans plus tard, à celui de Moscou, entre autres distinctions.

Le Moderato initial présente aux cordes, sur de larges intervalles et traité en canon, l’angoissant rythme pointé qui imprègne le mouvement. Le second thème, plus serein, adopte des couleurs pastorales sur une pulsation des cordes, puis tout s’anime et les thèmes subissent divers traitements, avant que le célesta ne conclue délicatement. L’Allegretto se moule dans un scherzo moqueur et coloré, sorte de valse parodique d’esprit populaire. « L’une des pages orchestrales les plus inspirées de Chostakovitch » (André Lischke), le Largo, avec ses cordes divisées, se déroule comme un choral méditatif dont l’intensité croît; suivent une « page d’une angoisse très tchaïkovskienne » et une coda « qui meurt sur des notes égrenées à la harpe et au célesta ». Enfin, l’Allegro non troppo, volontaire, un brin sarcastique, soulève la question de sa sincérité. Malgré le retour du lyrisme tendu du Moderato initial, on s’interroge encore sur le sens de sa conclusion, en ré majeur, « clinquante, conventionnelle et banale au possible », sorte de cri dont on ne sait s’il en est un de défi ou de détresse. Dans les Mémoires qui lui sont attribués, Chostakovitch donne peut-être un élément de réponse : « La joie y est contrainte et répond à la menace, il faut être un parfait imbécile pour ne pas le constater… »

© François Filiatrault 2022