Glass Marcano : La naissance d’une cheffe étoile
Septembre 2020, Paris. En vingt minutes, la vie de Glass Marcano a complètement basculé.
Quelques jours plus tôt, la jeune femme étudiait le droit au Venezuela, où elle avait peiné à amasser les 150 euros (230 $ canadiens) exigés pour s’inscrire au tout premier concours de direction d’orchestre destiné aux femmes, La Maestra, organisé par le Paris Mozart Orchestra.
Dans un pays où le salaire horaire minimum est de 2,50 $, la tâche n’était pas mince. « J’adore ce qui est compliqué ! La récompense est toujours plus grande », souligne la jeune femme, qui a travaillé à la fruiterie familiale et demandé l’aide des habitants de son village pour couvrir les frais d’inscription. « Je crois que, quand on naît dans un endroit où la vie est difficile, comme au Venezuela, on développe beaucoup de courage et une aptitude à tout faire pour accomplir nos rêves. »
Elle a ensuite pris un avion pour la première fois de sa vie et a offert à Paris une performance qui allait changer à jamais le cours de son existence. « Au départ, je pensais que ce concours serait une simple expérience. Je n’imaginais pas que ça m’apporterait autant, mais ça a été une opportunité extraordinaire », raconte Marcano.
Après avoir remporté le Prix des musiciens au concours, elle a été admise au Conservatoire de Paris pour parfaire sa technique de direction d’orchestre. Plusieurs des juges du concours — parmi lesquels la grande Marin Alsop — lui ont également offert des classes de maître, des conseils, du mentorat… Et les invitations à diriger différents orchestres européens se sont multipliées.
À 24 ans, elle a même été nommée Cheffe principale invitée de l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire, à la proposition du directeur général Laurent Campellone. En entrevue avec l’Agence France-Presse, ce dernier disait qu’elle est « une immense musicienne ». « Nous avons trois ou quatre grands chefs de ce niveau par génération. Glass en fait partie ! », affirmait-il.
Le conte de fées
Trois ans après La Maestra, Glass Marcano se pince encore. « Chaque matin, je me réveille en me disant wow ! Ce qui m’arrive est incroyable », confie-t-elle. Si elle admet volontiers que son histoire a quelque chose d’un conte de fées, il demeure que toutes ces opportunités ne viennent pas sans travail. Son quotidien se divise maintenant entre ses études au Conservatoire, particulièrement exigeantes, la préparation pour les concerts qu’elle dirige et l’emploi en restauration qu’elle occupe afin de subvenir à ses besoins.
Bref, sa vie est complètement différente. « Je suis encore la même Glass. J’ai la même personnalité, la même spiritualité, mais tout le reste a changé. Même ma façon de voir la musique n’est plus la même », indique-t-elle.
Issue du programme d’éducation musicale public vénézuélien El Sistema — le même qui nous a donné Gustavo Dudamel — elle a appris le violon et commencé à diriger très jeune. Cette formation lui a donné un puissant instinct musical. « Au Venezuela, on aborde davantage la musique comme une impulsion. On suit ce qu’elle nous inspire, l’émotion. En France, il y a une conception plus esthétique de la musique et quelque chose de beaucoup plus pragmatique dans son analyse. Chaque indication, chaque mélodie a un sens. J’essaie d’apprendre de ce pragmatisme, tout en gardant mon intuition », explique Marcano.
Elle a récemment eu une preuve que ses efforts étaient fructueux, alors qu’elle dirigeait à Vienne. « Un des musiciens m’a dit qu’il s’attendait à ce que je sois beaucoup dans l’énergie, comme plusieurs chefs sud-américains, et qu’il a été surpris de constater que j’avais un style très français dans mes articulations, dans mon élégance », raconte la cheffe, qui y a vu un beau compliment.
Rester soi-même
Parmi ses apprentissages majeurs, elle cite l’importance d’être fidèle à celle qu’elle est. « J’ai réalisé au fil de mes cours et des classes de maître qu’il n’y avait pas une seule bonne façon de diriger. Chaque chef va avoir une perspective très différente. Carlo Rizzi, un chef que j’admire beaucoup, m’a dit que l’important est de trouver ce qui compte pour moi dans la musique et de me concentrer sur cet aspect. Je suis en train de construire ma propre personnalité en tant que cheffe », explique-t-elle humblement.
La confiance en soi que cette démarche exige pourrait aisément être mise à l’épreuve, surtout lorsque Marcano dirige un orchestre de musiciens chevronnés. Se retrouver en situation d’autorité devant des gens qui cumulent plusieurs années d’expérience peut être très intimidant, quand on est aussi jeune. Comment aborde-t-elle ses relations avec les musiciens ?
« J’ai découvert que, tant que je suis claire dans ce que je veux, dans mes demandes, ça fonctionne. Qu’on soit jeune ou vieux, femme ou homme, latina ou blanche, si on a une idée musicale précise et qu’on l’exprime bien, les musiciens nous suivent », fait-elle valoir.
Cette authenticité sera assurément au rendez-vous avec un concert comme Sous le soleil de Marcano, dont le programme a été construit autour de sa trajectoire de vie personnelle. Les œuvres sud-américaines de la première partie ont été sélectionnées par l’OM, mais la deuxième partie, elle, a été confiée à Glass Marcano, qui a arrêté son choix sur la quatrième de Tchaïkovski. « C’est la toute première symphonie que j’ai dirigée, au Venezuela. Je trouve que j’ai un lien spirituel avec cette symphonie. Il y a beaucoup plus dans cette œuvre que son énergie, son romantisme. Elle porte un message, et c’est ce que je voulais transmettre à l’orchestre. »
Cette symphonie écrite sur le thème du destin était effectivement tout indiquée pour décrire la trajectoire empruntée par cette jeune cheffe. Devant toutes les opportunités qui s’offrent à elle, où son chemin la mènera-t-elle ? Si elle ne manque pas de grands rêves, son objectif demeure, lui, tout simple : être heureuse. Et, jusqu’ici, on peut dire que la vie lui sourit !