Concerto pour piano nᵒ 5, « Empereur »

Beethoven

1770 – 1827

Après s’y être établi en 1792, Beethoven conquit Vienne en quelques années à peine, tant comme pianiste que comme compositeur. Malgré la rudesse ombrageuse de ses manières, plusieurs membres de l’aristocratie et de la bourgeoisie reconnaissent son génie, désirent étudier avec lui, achètent ses partitions ou lui passent commande. Le goût des Viennois est certes changeant, les intrigues ne sont jamais bien loin et plus d’un sera dérouté par les audaces de son style, mais rien n’empêchera qu’il fasse figure, les années passant, de véritable musicien national.

Peu après qu’on lui a refusé, en 1807, un poste à la direction des théâtres de Vienne, Beethoven, toujours à la recherche d’un emploi fixe et bien rémunéré, annonce son intention de quitter la capitale impériale pour se mettre en Westphalie au service de Jérôme Bonaparte. Il organise alors un grand concert « d’adieu » présentant ses dernières compositions. C’est un triomphe et la menace porte fruit : le prince Kinsky, le prince Lobkowitz et l’archiduc Rodolphe s’associent pour lui verser une rente annuelle de 4 000 florins, sans contrepartie, afin « de le mettre à l’abri du besoin et d’écarter de la sorte les obstacles misérables qui pourraient s’opposer à l’essor de son génie ».

Sous ces auspices favorables, Beethoven entreprend, à l’automne 1809, la composition de son Concerto pour piano n° 5, qu’il dédie à l’archiduc Rodolphe. Terminé en février de l’année suivante, il sera publié en novembre à Londres chez Clementi & Co., puis à Vienne en février 1811 chez Breitkopf & Härtel, avant sa première exécution publique. À l’époque, tout compositeur, s’il est pianiste et pour montrer sa virtuosité, joue ses concertos en dirigeant l’orchestre du clavier et en se ménageant des passages plus ou moins improvisés, sa partie n’étant parfois pas encore toute couchée sur le papier. Mais avec le temps, sans doute à cause de sa surdité, Beethoven délaisse la carrière de soliste et son cinquième concerto sera créé, avec succès, par Friedrich Schneider à Leipzig le 28 novembre 1811, soit après sa publication, chose rare, et avant sa première viennoise, le 12 février suivant, avec Carl Czerny au piano.

Quant à son surnom, « personne ne peut dire pourquoi le Concerto a été surnommé “L’Empereur” ni qui a eu cette initiative; on dit que ce serait le compositeur anglais Cramer, mais rien n’est moins sûr, en tout cas ce n’est pas Beethoven », expliquent Jean et Brigitte Massin. Il n’y aurait là aucune allusion à quelque empereur que ce soit, ni celui d’Autriche ni encore moins celui des Français… Peut-être ses dimensions imposantes et sa perfection ont-elles fait considérer l’oeuvre elle-même comme « l’empereur » des concertos.

Beethoven en écrit l’Allegro initial au milieu de l’occupation de Vienne par les armées napoléoniennes, et on peut lire en marge de ses esquisses : « Chant de triomphe pour les combats », « Attaque! » et « Victoire! ». Le mouvement débute, chose inhabituelle, par un long prélude du soliste, comme improvisé et soutenu par de puissants accords de l’orchestre. Puis, durant une « expansion harmonique à grande échelle [confiée au piano] […] deux thèmes s’opposent et convergent dans une sorte de dialectique de la force et du sentiment ». L’Adagio qui suit est en forme de lied, et sa mélancolique simplicité, le fruit d’un dur travail, si on en juge par ses esquisses. S’enchaîne le Rondo final, avec son allure de danse populaire et où le soliste se livre à une virtuosité sans relâche. À la toute fin, écrivent les Massin, « un roulement de timbales pianissimo dans un grand silence prélude aux derniers accords et donne toute sa profondeur au triomphe définitif qui est l’expression même de ce cinquième concerto ».

© François Filiatrault